Samedi 19 septembre 2020 – Célébration en mémoire de Guy Lafon

Samedi 19 septembre 2020 – Célébration en mémoire de Guy Lafon

10 Oct, 2020
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Messe célébrée en l’église Saint-Marcel, Paris XIIIe

Textes du dimanche  (cliquer pour voir les textes bibliques de ce dimanche)

Homélie

Le semeur sortit pour semer

Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! (Mt 13, 1-9)

            Une homélie se doit de commenter l’évangile du jour. Je ne dérogerai pas à cette règle, mais, dans les circonstances présentes, ce commentaire de l’Evangile sera aussi une évocation immédiate de ce que fut la vie de Guy Lafon : une vie toute entière habitée par une lecture assidue des Evangiles et par un partage des fruits que cette lecture à fait mûrir en lui. Guy, en effet, nous apparaît comme une remarquable illustration et mise en œuvre de l’Evangile d’aujourd’hui. Cet évangile est une parabole de la vie de Guy.

            Arrêtons-nous tout d’abord au texte. Dans ce texte, il y a deux récits. Un récit premier qui parle d’un moment de la vie de Jésus : « En ce jour-là, Jésus sortit de la maison ». Et puis, il y a un second récit énoncé par Jésus lui-même : «Le semeur sortit pour semer ». Deux récits de sortie donc qui s’emboitent et sont comme le miroir l’un de l’autre.  Jésus sort et le semeur sort. Et leurs comportements se ressemblent. Tous deux répandent beaucoup. Jésus dit beaucoup de choses en paraboles aux foules, sans acception des personnes. De même, le semeur laisse tomber beaucoup de grains sur tous les terrains – pierraille, ronces ou terre profonde. La parole et le grain sont  donnés à tous, à profusion. Nul n’est exclu.

            Les paroles comme les semences sont des promesses de fruits à venir à condition d’être accueillies, entendues. Dans les deux récits, on a affaire à un processus de semailles, d’accueil de la semence, de la germination et enfin de fructification. Dans les oreilles, tout d’abord.  « Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ». « A bon entendeur, le salut ! » Dans la terre, ensuite, qui accueille la semence. Le grain reçoit de la terre de quoi grandir jusqu’à la fructification. La germination est le fruit d’une alliance, d’une rencontre hospitalière ici de la parole et des oreilles, là du grain et de la terre.

            Et c’est un avènement de vie comme dans la Genèse lorsque Dieu vient à la rencontre de la terre pour qu’advienne l’humain. C’est la même histoire. L’histoire d’un don fait sans compter. Sans discrimination, sans réserve, sans calcul. A recevoir ou à laisser. L’enjeu est l’avènement de l’humain vivant par l’évènement d’une parole qui germe et qui grandit dans le cœur de l’humain. Les fruits sont surabondants et peuvent être distribués généreusement au bénéfice de tous, y compris des sols arides.

            Écoutons ce que Guy dit lui-même de ce passage d’évangile. Nous y retrouvons les thèmes et les termes majeurs de sa pensée : le don, le don en retour, l’appel et la réponse qui en est le fruit, la conversation, l’entretien qui en est le creuset.  Voici ce qu’il dit :

            La vie nous a été donnée et nous n’y sommes pour rien. Le semeur disperse librement son grain, partout. (…) Le don que nous accueillons est un appel. Celui que nous retournons est une réponse. L’étonnant en tout cela est que cette réponse soit un fruit. (…) Le fruit (…) devient actuel du fait du sol qui le reçoit. Car il s’agit bien toujours d’une conversation, d’un entretien qui n’en finit pas. Celui qui a des oreilles, qu’il entende[1].

            L’évangile de ce jour, disais-je, est une parabole de la vie de Guy. Je voudrais l’évoquer de trois façons, par trois biais, tout en sachant que mes propos seront bien limités et qu’il y aurait encore bien d’autres choses à dire encore.

            Jésus est sorti. Le semeur est sorti. Guy aussi est sorti. Il est venu au monde. Il est sorti de sa maison, de son lieu natal, il est sorti pour s’adresser à tous et toutes, sans distinction, dans l’espace public J’ai toujours été frappé par le fait que Guy, lorsqu’il parlait de la foi chrétienne en théologien, s’adressait, en fait, toujours à l’homme, à l’être humain de toutes convictions. Son interlocuteur, c’est l’autre quel qu’il soit ; l’autre capable d’écoute et de dialogue. Pour lui, penser le christianisme, c’était le rendre possible, crédible et désirable par tout un chacun. D’une culture encyclopédique, il ne faisait pas état, comme un mauvais érudit ; iI a toujours gardé un rapport premier à l’humain. Il avait en lui, comme théologien, cette fibre philosophique qui le mettait en conversation étroite, avec les chercheurs, les penseurs de son temps,  comme Jacques Derrida, Michel Serres et bien d’autres encore, avec des poètes aussi comme Jean Grosjean ou Julien Gracq. Nourrie à diverses sources, sa parole tombait, comme dans la parabole, sur tous les terrains sans les filtrer, sans préjugé, sachant que tout sujet humain, « mon » semblable, est capable d’écoute et de réponse. Guy considérait les Écritures et singulièrement les évangiles comme un lieu commun, un lieu que tous et toutes peuvent fréquenter, un lieu inspirant, qui donne à penser ; un terrain de rencontre, une table ouverte, hospitalière où l’on peut partager, s’entretenir et se nourrir. L’évangile, en effet, est commun ; il appartient à tous comme Dieu lui-même est commun, pour reprendre le titre d’un de ses livres[2]. Dieu est le Dieu de tous et pour tous ; il est le Dieu dont on parle même si on n’y croit pas, un Dieu qui n’est enfermé dans aucune chapelle, lui-même constamment en sortie. Guy, un homme en sortie également, un homme de parole et d’entretien avec quiconque.

            La parabole du semeur décrit un processus : les semailles, l’accueil de la semence et la fructification. Guy était très sensible au processus, au mouvement en différentes étapes qui s’articulent entre elles et donnent du fruit. Ainsi, lors d’une session récente, il analysait une prière de la liturgie d’ordination prononcée par l’évêque pour l’ordinand : « Seigneur, en méditant jour et nuit Ta loi, que ce qu’il aura lu, il le croie ; que ce qu’il aura cru, il l’enseigne ; que ce qu’il aura enseigné, il l’imite » (entendons : qu’il le mette en pratique). Guy était sensible à cette dynamique de la vie, au mouvement dans lequel on entre, aux traversées auxquelles on se prête. Il avait traduit pour lui et pour nous, de façon poétique, cette prière venue de la liturgie : « De ton livre, fais de la foi. De ta foi, fais une parole. De ta parole, fais de l’amour, comme du blé on fait du pain ».

Du livre à l’amour, ce fut sa trajectoire.  Aussi la lecture n’était-elle pas pour lui seulement un exercice, même si elle en était bien un, mais, davantage, un entraînement à l’écoute, à l’accueil de la fécondité du don qui vient du Tout Autre, et conduit à tout autre. Sa pensée était indissociable pour lui d’une manière d’être en humanité, sans cesse renouvelée par ces fruits que sont la foi, l’espérance et l’amour. Paul nous rappelle que des trois, l’amour est le plus grand. Il est en tout cas le terme, ce dont croire et espérer ne peuvent en aucun cas, par quelque accident, nous détourner. Pour Guy, cet amour s’est inscrit de multiples façons dans son existence : bien sûr dans sa passion pour son ministère, à l’accueil en paroisse (successivement à Notre-Dame, ici, à Saint-Marcel, mais également à la chapelle St-Bernard-de-Montparnasse et à St-Jean-des-deux-Moulins). Son amour s’exprimait aussi dans l’intensité avec laquelle il préparait et habitait sa prédication, comme la préparation de toutes les liturgies en général. Combien parmi nous, pour qui il a célébré mariages, baptêmes, obsèques, se sont sentis, dès les premiers mots de son homélie, saisis par l’humanité, l’humilité et la radicalité de l’invitation à la foi que Guy nous proposait. Son amour enfin s’est exprimé dans l’accompagnement spirituel en général, et dans celui des personnes malades, notamment, durant les deux premières décennies de l’épidémie du SIDA.

            Sa vie d’auteur, d’enseignant, de pasteur, d’ami, a été une vie féconde. Il a donné abondamment, généreusement, avec prodigalité, et, sans nul doute, son œuvre est-elle en attente de nouveaux fruits. Ses écrits, son enseignement comme sa vie elle-même constituent une page de ce qu’on peut appeler le cinquième évangile : l’évangile que les chrétiens, lisant les quatre premiers, écrivent de leur main et dans leur chair. Comme le dit l’exégète Alain Marchadour, «  La lecture de la Bible, depuis 20 siècles, n’est rien d’autre que cette tension difficile mais féconde entre un livre écrit une fois pour toutes et des communautés produisant à leur tour leur cinquième évangile. […] Quand un livre n’est plus lu, il meurt. Tant que des hommes et des femmes continueront de lire la Bible pour essayer d’ajouter leur propre page, l’Écriture restera le Livre de la Vie[3] »

            Guy est une page de ce cinquième évangile. Ce que saint Paul écrit aux Corinthiens peut lui être appliqué : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ rédigée par nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co, 3, 3). Qu’il en soit remercié. Et que Dieu soit loué.

André Fossion s.j

andre.fossion@lumenvitae.be

[1]             La Table de l’Evangile. https://lafon.guy.free.fr/

[2]             Le Dieu commun, Seuil, Paris, 1982.

[3]             Alain MARCHADOUR, Un évangile à découvrir. Coll. Croire et comprendre, Le Centurion, Paris, 1978, p.164.

PRIÈRE UNIVERSELLE

R/ Accueille au creux de tes mains la prière de tes enfants

« Libera caritate – avec la libéralité de l’amour ». Guy aimait cette antienne de la fête de son saint patron, qu’il avait faite sienne. Plus qu’une devise, cette prière était comme une règle de vie et une source d’inspiration pour lui, en appelant sans répit le cœur aimant à l’abondance et à la générosité. Ce qui reste de Guy n’est pas dans des souvenirs que notre mémoire garderait comme en un tombeau : puisque Guy est vivant en Christ, fais-nous passer, Seigneur, chaque jour, de la mort à la vie, en aimant nos frères et sœurs, comme lui-même a su le faire si généreusement.

Nous te prions, Seigneur, pour tous les amis de Guy qui sont dans la peine, pour ceux qui n’ont pas pu être présents, et pour nous tous qui avons eu la chance de le rencontrer et partager avec lui des moments lumineux de joie, d’espérance et de recherche. Que la route que nous avons partagée avec lui se poursuive avec courage sur le chemin de la Vie.

Guy a connu à la fin de sa vie la maladie et la souffrance. Nous te prions, Seigneur, pour lui et pour tous ceux qui sont éprouvés, dans leur corps et dans leur cœur.

Nous te prions aussi pour tous les soignants qui l’ont accompagné et qui accompagnent tous ceux qui souffrent, ici ou ailleurs, de la maladie et de la guerre.

Nous te prions, Seigneur, pour l’Eglise que Guy a servie et aimée. Il n’en ignorait ni les faiblesses ni le péché, mais par sa vie de prêtre, il a témoigné que c’est aussi par elle que se manifeste le Dieu commun ; qu’avec elle, nous pouvons nous risquer à Croire, Espérer, Aimer ; et à rencontrer l’Autre Roi. Aide les croyants à faire de cette Eglise le lieu où chacun se sent accueilli, à la Table de l’Evangile.

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